Une des plus grosses difficultés que je rencontre en vivant avec ma maladie, c’est la complexité de se faire comprendre de mon entourage. Il est normal dans la vie courante de se mentir, quand les gens se disent « Salut, ça va? » il est rare qu’ils se voient répondre « Non ça ne va pas. ». Et quand bien même ce serait le cas, qui oserait demander « Qu’est-ce qui ne va pas? » de façon intéressée et soucieuse. Pour ça il faudrait pouvoir prendre le temps d’en parler. A-t-on seulement envie de prendre ce temps? J’avoue que quand je ne vais pas bien, je ne le prends pas.
Honnêtement, nous vivons dans un monde qui se moque du bien-être des autres et par conséquence, nous n’avons pas pour habitude de parler, de livrer nos états d’âmes qu’ils soient passagers ou non.
Dans ce monde hypocrite, comment les personnes telles que nous, qui vivent, comme je le dis souvent pour moi, « une vie de souffrance et de renonciations », font-elles pour gérer le paradoxe entre la bienséance (mentir et faire comme si tout allait bien) et la réalité (non tout ne va pas bien et manifestement je ne peux vivre comme les autres). Comment ne pas laisser des silences s’installer quand on nous propose des choses: « Tiens, tu pourrais venir avec nous la prochaine fois en randonnée! » quand on répond nécessairement « Ce serait avec plaisir mais je ne peux pas. ». Comment garder son calme et faire preuve d’abnégation, quand ceux qui savent pourtant, continuent de proposer, comme par politesse, alors que notre âme crie fort au fond de nous l’intolérable douleur de ne pas pouvoir et d’avoir la responsabilité de prendre sur nous d’être celui qui dit que c’est impossible alors que nous ne sommes pas celui qui le décide.
C’est la maladie, invisible, qui décide si nous pouvons ou pas. Mais c’est nous qui sommes responsables des mots qui rendent ces impossibilités réelles. Il est de notre responsabilité de refuser.
Alors oui, j’entends déjà les commentaires optimistes qui diront « Il ne faut pas dire non, il faut essayer! », « Dire non c’est renoncer! » et qui du coup nous rendent, nous malades, encore plus coupables d’être incapables de vivre la même vie que ceux qui nous entourent.
Mais nous n’avons pas le choix. Souvent. Ou un choix impossible. J’en avais déjà parlé mais je le redis, chaque activité un temps soit peu physique que j’entreprends me coute. Avant de faire le ménage, ranger la vaisselle, sortir le chien, prendre la voiture pour faire une course, je me pose toujours la question: « qu’est-ce que ça va me couter? » « est-ce que ça vaut le coup? »
Comme dans un jeu vidéo toutes ces activités me coutent des points de vie, me fatiguent et engendrent souvent des douleurs que je mettrai plus de temps à faire disparaitre que le temps que j’ai consacré à l’activité qui les aura fait apparaitre.
Mais ça, c’est quelque chose que je règle entre moi et moi-même. Même si c’est parfois mon conjoint qui finit par devoir sortir le chien ou ranger la vaisselle parce que je ne l’ai pas fait.
Dans la vie courante, nous nous retrouvons avec des sens interdits là où les autres ont des voies rapides, des route, des rues. Ces sens interdits, nous sommes souvent les seuls à les voir et y être contraints. L’entourage ne pouvant voir ces sens interdits, que faut-il faire ?
* Mentir: contourner le sens interdit, ne pas se justifier, trouver une autre justification plus « bankable ».
Prenons un exemple « Ça te dit de venir avec nous au Resto hype qui sert des trucs américains? »
Une simple proposition de restau venant de copains, l’occasion de passer une soirée sympa en somme. Mais quand on me propose ça je vois:
« Où est ce restaurant, pas trio loin j’espère, comme je ne peux pas conduire trop longtemps…vais-je pouvoir me garer à proximité et ne pas avoir trop à marcher ? »
« A quelle heure va-t-on manger? Est-ce que ce ne sera pas trop tard en soirée pour que mon corps puisse digérer ? »
« Est-ce qu’ils servent des plats sans gluten ou produits laitiers? Est-ce qu’on me renseignera à ce sujet ou est-ce que la serveuse me mentira? » (ça m’est arrivé)
« Est-ce que je serai bien assise? »
Partons du principe que ma réponse est « non ». Comment la dire ?
« Tu sais avec mes intolérances alimentaires, c’est compliqué pour moi de manger dans un restaurant. »
Ce à quoi, avec la plus infinie des bienveillances on vous répondra « Oh mais ils doivent surement faire des salades ne t’inquiètes pas. »
Que faire? Insister ? Si le restaurant ne met pas à disposition sa carte en ligne, comment savoir? Allez on y va quand même et… on ne peut rien manger. On lui dit quoi à la serveuse ? « Servez-moi une salade verte. » ? Et du coup, la réaction des convives sera forcément difficile à subir. Il y aura ceux qui comprendront. Et ceux qui penseront que ce n’est pas bien grave et que vous auriez quand même pu faire un effort pour une fois. Ceux qui chercheront à comprendre. Vous vous expliquerez et justifierez, ce qui sera ennuyant et vous mettra mal à l’aise. Mais malgré tout cela, il y aura peut-être quelqu’un de plus éclairé que vous qui aura tout lu et qui vous affirmera du haut de sa bonne santé que ces régimes ne valent rien.
Vous pouvez aussi dire oui et décommander au dernier moment. Une méthode que j’emploie souvent. Malheureusement.
* Sinon vous pouvez risquer de vexer vos amis et vraiment refuser. Et là vous devez vous justifier. Ben oui, c’est tellement odieux et malpoli de votre part de refuser une invitation. En plus, on vous proposera des adaptations « Viens au ski on te laissera le grand lit! » sans oublier le « Il y a un bar en bas des pistes tu pourras nous regarder!! »
« Ouais super. Je vais me taper 2 heures de route en lacets (mal au dos), deux nuits dans un lit inconfortable(re-mal au dos et impossibilité d’avoir un sommeil réparateur donc, encore plus mal au dos). Deux jours dans le froid (contractures). Marcher dans la neige (effort insurmontable pour le bassin et les genoux). Manger de la salade verte pour vous accompagner au restaurant (de toutes façons arrivée là j’aurais trop mal pour avoir faim). Pour quoi? Vous regarder skier. Cool.
Très cool. »
Ça c’est ce qu’on se dit dans sa tête, jamais on n’oserait vexer le peu d’amis qu’il nous reste avec la brutale réalité de notre vie de malade: « je fais des sacrifices pour chaque chose que j’entreprends, et votre bon plaisir ne vaut pas mon sacrifice, ma souffrance et ma frustration. »
J’avoue parfois rêver d’avoir dans mon entourage une oreille attentive qui puisse entendre les bas. Les hauts c’est toujours une victoire et c’est facile à dire à n’importe qui, mais d’avoir quelqu’un qui puisse, en ayant une confiance absolue en mon jugement à pouvoir ou ne pas pouvoir faire telle ou telle chose, écouter tout le reste. Entendre qu’il m’arrive de remporter des victoires et passer des journées sans douleurs c’est facile. Mais entendre aussi qu’en ce moment je souffre atrocement, sans trouver de soulagement, et que ma vie se résume alors au strict minimum parce que chaque geste est source de douleurs… L’empathie attendue est une lame à double tranchant: oserais-je être assez cruelle pour mettre, ne serait-ce qu’un peu, de mon fardeau sur les épaules d’un autre ? Si cette personne vous écoute, elle partagera votre douleur, je ne le souhaite à personne. Si j’avais des amis de qualité et proximité telle qu’ils pourraient entendre mes maux, je ne voudrais pas les partager avec eux.
Car qui dit entourage dit partage, si nous devons partager nos handicaps et sens interdits pour justifier que nous n’accompagnons pas ceux qui nous entourent dans certaines activités, devons-nous tout partager? Sont-ils prêts à voir Mr Hyde qui se cache derrière le Dr Jekyll? Sont-ils prêts à comprendre et appréhender le fait que malgré les apparences, nous sommes « uniques » et souvent incompatibles avec leurs vies, leurs repères? Devons-nous prendre sur nous de souffrir des frustrations imposées par la maladies auxquelles s’ajoutent les frustrations de tous les non-dits ?
Et que se passe-t-il quand malgré les explications et exemples les plus crus et vrais, on nous demande toujours la lune ? Que faire quand on crie et qu’on ne nous entend pas ?
Il est bien difficile pour moi d’avoir une réponse à tout ça.